Préface
I J’avais promis dans la Préface du Volume précédent 1 Voir la préface du tome I. [DR] , que le premier Dialogue que je donnerais au Public, ferait voir l’avantage que les Modernes ont sur les Anciens, en ce qui regarde l’Astronomie, la Géographie, la Navigation, la Physique, les Mathématiques, etc. pour en venir dans les Dialogues suivants à l’Éloquence et à la Poésie, mais deux choses m’ont fait changer de résolution, et m’ont obligé de traiter dans celui-ci de l’Éloquence ; la première, l’impatience de quelques-uns de mes amis qui ont eu curiosité de voir ce que je pourrais dire pour II montrer que l’Éloquence d’aujourd’hui égale souvent et surpasse même quelquefois celle des Anciens 2 Annotation en cours. ; l’autre, un bruit qui s’est répandu 3 Annotation en cours. que je reculais d’en venir là, et que me sentant faible sur cet article, je ne cherchais qu’à triompher sur les autres Arts où les Modernes ont des avantages incontestables, au lieu de m’attacher uniquement au nœud principal de la difficulté. Quoique je perde beaucoup en ne suivant pas l’ordre que je m’étais prescrit, car il est constant, que si j’avais bien prouvé, comme il est facile de le faire, que dans toutes les Sciences et dans tous les Arts, dont les secrets se peuvent mesurer et calculer 4 Annotation en cours. , nous l’emportons visiblement sur les III Anciens il n’y aurait que l’impossibilité 5 Voir la note 47 du tome I. [DR] de convaincre des esprits opiniâtres dans les choses de goût et de fantaisie 6 Annotation en cours. , comme sont la plupart des beautés de l’Éloquence et de la Poésie, qui pût empêcher que les Modernes ne fussent reconnus les maîtres dans ces deux Arts comme dans tous les autres ; cependant j’ai mieux aimé renoncer à l’avantage d’une induction si naturelle, que de ne pas donner satisfaction et à mes amis et à mes adversaires 7 On voit combien la démonstration de la supériorité des Modernes sur les Anciens en matière d’éloquence et de poésie – centrale dans la Querelle, mais souvent laborieuse – est tributaire chez Perrault et beaucoup de ses contemporains de celle sans doute plus aisée de leur suprématie dans les sciences et les techniques. Plus loin (p. 17), il défend d’ailleurs l’idée d’un progrès (au sens d’avancée) de la morale au cours du temps comme il en est pour la physique, l’astronomie ou l’anatomie, et de la poésie (et aussi tome III, p. 23, note 48). Ce parallèle entre les progrès récents de la morale et ceux des sciences explique pourquoi l’abbé Terrasson, par exemple, considérera que c’est la chute d’ Aristote et de Ptolémée qui a précipité celle d’ Homère et de Virgile (ce que Perrault appelle une « induction »). Notons toutefois que Perrault ne semble pas témoigner de cet esprit géométrique que beaucoup de Modernes veulent appliquer aux belles-lettres comme aux arts et aux sciences et contre lequel s’élèvent les défenseurs des Anciens. Il est en cela un Moderne modéré. [PD] .
Il est vrai que la difficulté est plus grande sur cet article que sur le reste à cause de la plus grande et plus universelle prévention où l’on est en faveur des Anciens sur le fait de l’Éloquence et de la IV Poésie. Cette prévention, qui comme toutes les autres est fondée sur le respect qu’on a naturellement pour ce qui est ancien, a eu encore l’avantage d’être cultivée par mille soins et en mille manières. Il y a eu des hommes payés et gagés pour la faire entrer profondément dans l’esprit des jeunes gens qu’on a mis sous leur conduite 8 L’explication des corpus antiques revenait aux maîtres de la classe des humanités et de la classe de rhétorique : on se souviendra que dans la ratio studiorum des jésuites (1599), la « classe » de rhétorique (que l’élève était souvent invité à doubler voire à tripler) succédait aux classes de grammaire et d’humanités, et accueillait les élèves vers 13-15 ans (même cursus dans les institutions pédagogiques de l’Europe du Nord). L’année consacrée aux humanités faisait la transition entre la grammaire et la rhétorique, en s’appuyant sur l’explication grammaticale linéaire des poètes latins pour initier des exercices préparatoires de composition rhétorique (les fameux progymnasmata). La classe de rhétorique ensuite se fondait sur trois enseignements, la leçon des principes, la leçon d’analyse (commentaire argumentatif d’un texte oratoire antique) et les exercices d’imitation. Voir H. Ferté, Programme et règlement des études de la société de Jésus…, Paris, Hachette, 1892 . [CNo] ; des hommes qui revêtus de longues robes noires, et le bonnet carré en tête 9 Voir l’article BONNET dans l’Encyclopédie (auteur : Urbain de Vandenesse) : « Le bonnet carré est un ornement, et pour certaines personnes la marque d'une dignité, comme pour les membres des universités, les étudiants en philosophie, en droit, en médecine, les docteurs, et en général pour tous les ecclésiastiques séculiers, et pour quelques réguliers. » [CNo] , leur ont proposé les ouvrages des Anciens, non seulement comme les plus belles choses du monde, mais comme l’Idée du beau 10 Sur l’idée de beau, voir la célèbre Énnéade de Plotin sur le beau (I, 6), accessible dans les rééditions de la traduction latine de Marsile Ficin (1492), que nous citons ici dans la trad. M.-N. Bouillet (1857, p. 113) : « Il [l’homme] s’élèvera d’abord à l’Intelligence, il y contemplera la beauté de toutes les formes, et il proclamera que toute cette beauté réside dans les idées. » Pour d’autres références à Plotin, voir Perrault, « Le Génie ». [CNo] , et cela avec des couronnes toutes prêtes s’ils parvenaient à imiter ces divins modèles 11 Sur l’imitation comme fondement de l’art rhétorique, voir Quintilien, Institution oratoire, op. cit. , X, 2.1 : « C'est dans ces auteurs et dans tous ceux qui méritent d'être lus qu'il faut puiser et l'abondance des mots, et la variété des figures, et l'art de la composition. On s'appliquera aussi à s'approprier toutes les qualités; car il est indubitable que l'art consiste en grande partie dans l'imitation . » Parmi les innombrables déclinaisons de ce mot d’ordre, nous citerons le dernier manuel actualisé de rhétorique par les jésuites, le Candidatus rhetoricae de 1710 (dû à J. de Jouvancy, trad. H. Ferté, 1892, L. I, ch. 9) : « L’éloquence s’acquiert plutôt par la pratique et par l’imitation d’un excellent orateur que par les préceptes » . [CNo] . Faut-il s’étonV ner que de jeunes gens élevés au bruit continuel des louanges qu’ils ont ouï donner aux Anciens, aient toujours conservé pour eux cette estime sans bornes qu’on leur a inspirée dès leur enfance ; faut-il s’étonner que la recherche des plaisirs ou le désir de faire fortune ; soins 12 Furetière : « Diligence qu'on apporte à faire réussir une chose, à la garder et à la conserver, à la perfectionner. » « Se dit aussi des soucis, des inquiétudes qui émeuvent, qui troublent l'âme. » [DR] qui s’emparent ordinairement de l’esprit de ceux qui sortent des études pour entrer dans le monde, les aient empêché de s’éclaircir sur une chose qui importe si peu au bonheur de la vie ? il faut plutôt être surpris que quelques-uns se soient mis en peine d’être désabusés. Avec tout cela je ne désespère pas de trouver autant de partisans, de mon opinion sur l’Éloquence VI et sur la Poésie que sur les autres Arts, si l’on se donne la peine d’y penser avec quelque sorte d’application.
Ceux qui jugent de ces matières, sont ou des personnes qui ayant du génie pour les Sciences, en possèdent une grande partie naturellement, et sans avoir beaucoup lu les Livres qui en traitent, ou des gens qui n’ayant pas de génie pour les Sciences en ont lu tous les livres sans en savoir aucune, ou enfin des hommes qui les savent, et pour y avoir du génie, et pour avoir beaucoup étudié les Auteurs qui en ont écrit. Les premiers, qui ont du goût et de la raison ; qui ont accoutumé de s’en servir et de s’en servir VII utilement, ne pourront pas ne se point rendre quand on leur fera toucher au doigt et à l’œil, qu’il n’y a rien que le temps ne perfectionne tous les jours, que l’art de s’exprimer soit en Prose, soit en Vers ressemble en ce point à tous les autres, avec cette différence que comme il est plus susceptible d’agréments, et qu’un plus grand nombre d’habiles gens s’en sont mêlés, on a dû s’y perfectionner davantage à proportion. Ces personnes, dis-je, ne pourront pas disconvenir de ces vérités, parce que la Nature leur a donné des yeux pour les voir, et des oreilles pour les entendre. À l’égard de ceux qui n’ont point de goût 13 Annotation en cours. , et qui n’osant se fier à leur disVIII cernement 14 Annotation en cours. (en quoi ils ont raison) ne se laissent conduire que par l’autorité des Auteurs, et même des plus anciens pour plus grande sûreté, je ne prétends pas en voir jamais un seul de mon avis, puisque je ne pourrai jamais leur citer aucun passage d’un ancien Auteur qui dise que les ouvrages des Modernes égalent et surpassent même quelquefois ceux des Anciens. Quoique ces gens-là ne soient que des fantômes de savants, qui, animés par le seul esprit étranger des citations, tombent sans cesse et tout à coup dès que cet esprit les abandonne, il est fâcheux néanmoins de les avoir pour adversaires. Ils font un bruit épouvantable, et par les IX grandes paroles de Démosthène, de Cicéron, d’Isocrate, de Périclès qu’ils ont sans cesse dans la bouche, et qui en sortent avec une prononciation qui n’est point naturelle 15 Sur la déclamation oratoire, dont on sait qu’elle est à mi-chemin entre la parole quotidienne (sermo) et le chant (récitatif), autrement dit, qu’elle relève d’un artifice, d’un ensemble de conventions régissant l’intonation, voir Grimarest, Traité du récitatif dans la lecture, dans l'action publique, dans la déclamation, et dans le chant. Avec un traité des accens, de la quantité & de la ponctuation , Paris, Jacques Le Febvre et Pierre Ribou, 1707. [CNo] ils étonnent jusqu’aux plus habiles, et emportent le menu peuple à qui ces sortes de spectres paraissent toujours plus grands que les savants véritables qui ont esprit et vie. Les troisièmes se partageront ; ceux qui cherchent la vérité, et qui ont la force de l’aimer lors même qu’elle ne leur est pas avantageuse, consentiront qu’on rende justice aux excellents ouvrages de notre siècle, quoiqu’ils sentent bien que le mérite qu’ils ont de bien posséder les Anciens en diminue un X peu. Mais ceux qui font plus de cas de leur érudition, que de leur esprit et de leur génie, qui regardent les extraits qu’ils ont faits des moindres ouvrages des Anciens comme de grands fonds d’héritages, et les petits Vers de Pindare et d’Anacréon 16 Perrault reprend la critique de l’érudition comme accumulation d’extraits et de citations, dépourvue de tout « génie » propre, déjà présente dans la préface du Tome I du Parallèle . L’expression « petits vers » peut convenir pour la poésie d’Anacréon remise au goût du jour par la traduction d’ Anne Lefèvre (qui épousera André Dacier en 1683) ( Les Poésies d’Anacréon et de Sapho traduites du grec en français, avec des remarques, Paris, Denis Thierry et Claude Barbin, 1681) puis par celle de Longepierre ( Les Œuvres d’Anacréon et de Sapho, contenant leurs poésies et les galanteries de l’ancienne Grèce en vers français, Paris, Pierre Emery, 1684). L’expression est plus surprenante pour désigner la poésie de Pindare. Perrault rapproche ainsi subrepticement le plus grand genre lyrique, l’ode pratiquée par Pindare, et la poésie « galante ». [CBP] , qu’ils ont ramassés en leur jeunesse comme autant de diamants et de rubis ces riches du bien d’autrui ne pourront souffrir qu’on rabaisse le prix des trésors qu’ils possèdent. Ils s’élèveront vivement contre mon paradoxe 17 Le « paradoxe » consiste à affirmer que les Modernes peuvent égaler voire surpasser les Anciens, ce que veut démontrer le Parallèle . Dans la préface du tome I, Perrault répondait à ses détracteurs qui voulaient considérer « Le Siècle de Louis le Grand » comme un « jeu d’esprit » où il se serait « diverti à soutenir un paradoxe » [voir tome I, p. XIV et note 31]. Fontenelle utilise le même mot de « paradoxe », à l’ouverture de la Digression sur les Anciens et les Modernes (1688), affirmant « […] nous pouvons égaler Homère, Platon, Démosthène » (éd. dir. S.Audidière, Classiques Garnier, 2015, p. 85). Quelques années plus tard, c’est encore ce mot de « paradoxe » qui sera utilisé pour qualifier les discours d’Antoine Houdar de La Motte. [CBP] ; ils aimeront mieux se déclarer pour les Anciens, et faire envier le Bonheur qu’ils ont de les connaître, que de convenir que notre siècle a quelque avantage sur l’Antiquité, XI et ne pouvoir prétendre qu’à une portion de cette gloire. Ils ressembleront à ces Musiciens qui aiment mieux qu’on dise que le concert où ils chantent ne vaut rien, mais qu’en leur particulier ils font des merveilles, que d’entendre louer tout le concert, et n’avoir que leur part dans cette louange générale.
Comme je suis bien aise qu’on sache au vrai quel est mon sentiment, je crois être obligé d’avertir que je ne me rends responsable que des choses que dit l’Abbé, et non point de tout ce que dit le Chevalier dans ce Dialogue, ni de tout ce qu’il dira dans les Dialogues suivants 18 Le Chevalier est sans doute le personnage le plus ambigu de tout le Parallèle . Sa position entre Anciens et Modernes n’est pas sans équivoque ; sa posture irrévérencieuse semble signaler sa fonction idéologique (valoriser audace et indépendance d’esprit) et son rôle rhétorique dans la conduite du dialogue qu’il contribue à relancer et animer par l’humour et la distance critique. La déclaration prudente de Perrault pourrait peut-être s’interpréter comme une antiphrase tant la liberté de ton du Chevalier semble l’apparenter à l’auteur même du dialogue. [DR] . Il outre quelquefois la matière, et c’est un personnage que j’ai XII introduit pour avancer des propositions un peu hardies ; ainsi je ne garantis pas toutes les saillies de sa vivacité, comme par exemple quand il dit que Socrate et Platon sont deux saltimbanques qui ont monté l’un après l’autre sur le théâtre du monde 19 Voir le passage p. 111 actuelle note 265. [DR] , quand il soutient que Mézeray narre plus nettement que Thucydide 20 Voir le passage p. 97 actuelle note 239. [DR] , quand il prétend que la préférence que Quintilien donne aux anciens Orateurs sur ceux de son temps, n’est pas de bonne foi 21 Voir le passage p. 224 actuelle note 474. [DR] , et qu’il pensait tout le contraire, ou quand il avance d’autres paradoxes aussi étranges. Quoique ces propositions puissent être vraies dans le fond, néanmoins comme elles sont trop contraires aux opinions reçues, XIII je n’ai pas estimé devoir les soutenir bien sérieusement, et je ne les donne que comme des problèmes. Je demande encore qu’on ne me fasse dire que ce que je dis. J’en dis assez, et suis suffisamment chargé du seul poids de ma cause. Je ne puis m’empêcher de marquer ici l’étonnement où je suis de voir qu’on nous accuse, nous les défenseurs des Modernes, de ne parler comme nous faisons des ouvrages des Anciens que par envie, Rumpantur licèt invidiâ [ a ] 22 Le vers est emprunté à un poème de Charles Rollin (1661-1741) alors jeune professeur de rhétorique au Plessis et professeur d’éloquence au Collège Royal depuis 1688 à la suite de son maître Marc-Antoine Hersan appelé par Louvois pour être le précepteur de son fils, Camille Le Tellier, Marquis de Louvois (1675-1718). Le poème, daté de 1689, porte précisément sur un exercice public du jeune Marquis de Louvois consacré à Théocrite. Il a été publié en 1689 ( Ad illustrissimum virum Franciscum Michaelem Le Tellier, marchionem de Louvois cum ejus filius Camillus de Louvois de Theocrito publice responderet, Paris, 1689, 4°, 4 p.). Rollin y fait l’éloge des Idylles de Théocrite et écrit : « Haec, et quae longum percurrere singula, doctis / Quae semper placuere viris, semperque placebunt ; Rumpantur licet invidia qui talia damnant ; […] », Opuscules de feu M. Rollin, ancien recteur de l’Université de Paris, Paris, Frères Etienne, 1771, t.II, p. 353. [CBP] , dit, en parlant de nous, un homme célèbre, non moins bon Poète qu’excellent Orateur 23 Il s’agit de Charles Rollin, voir note 21 ci-dessus. [CBP] , ce que son Traducteur a traduit en cette manière.
Malgré les aveugles caprices
D’un petit nombre d’Envieux.
24
Une traduction du poème par Noël Bosquillon, poète et traducteur, membre de l’Académie de Soissons, est publiée en 1689 sous le titre A monseigneur le marquis de Louvois, ministre et secretaire d'Estat, à l'occasion d'un exercice public fait sur les Idylles de Theocrite par monsieur l'abbé de Louvois, bibliothequaire du Roy, &c. (Paris, ; Gabriel Martin, 1689, 4°, 6 p.). Boileau, répond à Perrault sur ce point dans la Ve Réflexion critique sur Longin. Après avoir confessé : « J’ignore de qui M. Perrault veut parler là », il écrit : « Je rapporte ici tout exprès ce passage, afin de faire voir à Monsieur P. qu’il peut fort bien arriver, quoi qu’il en puisse dire, qu’un Auteur vivant soit jaloux d’un Écrivain mort plusieurs siècles avant lui. Et en effet, je connais plus d’un Demi-savant qui rougit lorsqu’on loue devant lui avec un peu d’excès ou Cicéron, ou Démosthène, prétendant qu’on lui fait tort. », OC, p. 514. [CBP] et [DR].
XIV Voilà assurément une espèce d’Envie bien singulière. Jusqu’ici, on avait cru que l’Envie s’acharnait sur les vivants et épargnait les morts, aujourd’hui l’on dit qu’elle fait tout le contraire. Cela n’est guère moins étonnant que d’avoir le cœur au côté droit 25 Allusion à la scène 4 de l’acte II du Médecin malgré lui de Molière où Géronte s’étonne face à Sganarelle, faux médecin aux compétences burlesques, qu’il situe le cœur à droite et le foie à gauche. [PD/DR] , et il faut que ces Messieurs aient tout changé dans la Morale, comme Molière disait que les Médecins avaient tout changé dans l’Anatomie 26 Le Médecin malgré lui , II, 4 : Sganarelle répond ainsi aux interrogations de Géronte : « Oui, cela était, autrefois, ainsi ; mais nous avons changé tout cela, et nous faisons maintenant la médecine d’une méthode toute nouvelle. » Comme l’ont montré les travaux de Patrick Dandrey, Molière était un fin connaisseur de la question médicale. Dans Le Malade imaginaire (1673), il ridiculise les ennemis de Harvey, le découvreur en 1628 de la circulation du sang, dans le portrait que le docteur Diafoirus brosse de son fils Thomas. Il est d’ailleurs étonnant que les pièces de Molière soient absentes des histoires de la Querelle. [DR] et [PD] . Je voudrais qu’on choisît un homme désintéressé et de bon sens, et qu’on lui dît que parmi les gens de lettres qui sont à Paris, il y en a de deux espèces ; les uns 27 Furetière désigne par l’expression « gens de lettres » : « ceux qui s’appliquent à l’étude » ; à l’article « Lettres » on trouve les précisions suivantes : « On appelle les Lettres humaines, et abusivement les belles Lettres, la connaissance des Poètes et des Orateurs ; au lieu que les vraies belles Lettres sont la Physique, la Géométrie, et les sciences solides. » Perrault dessine la géographie du domaine des lettres tel qu’il est centralisé à Paris et l’organise selon le clivage que lui fournit la polémique : la Querelle est donc manifestement l’occasion de rendre visible un champ du savoir qui est aussi un champ social. Perrault a beau jeu de se placer à la tête de cette représentation du parti des Modernes. [DR] qui trouvent que les anciens Auteurs tout habiles qu’ils étaient, ont fait des fautes, où XV les Modernes ne sont pas tombés, qui dans cette persuasion louent les ouvrages de leurs confrères, et les proposent comme des modèles aussi beaux, et presque toujours plus corrects que la plupart de ceux qui nous restent de l’Antiquité ; les autres 28 Contrairement à la position équilibrée et rationnelle qui se dégage de l’évocation des Modernes, la figuration du camp des Anciens est ici entièrement polarisée par la question de l’humeur et de la tonalité agressive : c’est une manière de suggérer que le camp adverse est dominé par la figure de Boileau. [DR] qui prétendent que les Anciens sont inimitables, et infiniment au-dessus des Modernes, et qui dans cette pensée méprisent les ouvrages de leurs confrères, les déchirent en toute rencontre, et par leurs discours et par leurs écrits. Je voudrais, dis-je, qu’on demandât à cet homme désintéressé et de bon sens, qui sont les véritables Envieux de ces deux espèces de gens de lettres ; je n’aurais pas de peine XVI à me ranger à son avis. Ceux qui nous ont appelés Envieux n’ont pas pensé à ce qu’ils disaient, et cela arrive presque toujours quand on ne songe qu’à dire des injures. On a commencé par nous déclarer nettement que nous étions des gens sans goût et sans autorité 29 Allusion à l’argument de Dacier que Perrault répète à plusieurs reprises depuis le tome I. Voir p. VI, note 10 et p. 91, note 132. [DR] . On nous reproche aujourd’hui que nous sommes des Envieux, peut-être nous dira-t-on demain que nous sommes des Entêtés et des Opiniâtres.
L’agréable dispute où nous nous amusons,
Passera sans finir jusqu’aux races futures ;
Nous dirons toujours des raisons,
Ils diront toujours des injures.
30
Boileau répond à ce quatrain toujours dans la Ve Réflexion critique sur Longin. [DR]
a. Quoiqu’ils crèvent d’envie.
a. Quoiqu’ils crèvent d’envie.