369 LETTRE DE PLINE LE JEUNE, À GALLUS  : où il décrit une de ses Maisons de Campagne

VOUS vous étonnez que mon Laurentinum ou mon Laurens, si vous voulez, me plaise si fort ? vous cesserez de vous en étonner quand vous connaîtrez les agréments de cette Maison de campagne, la commodité de sa situation et l’étendue du rivage où elle est placée. Elle n’est éloignée de Rome que de dix-sept mille, en sorte qu’on peut y aller après avoir employé tout le jour à ses affaires. On y va par plus d’un chemin, car la voie Laurentine et la voie d’Ostie mènent au même endroit, mais il faut laisser la première à la quatorzième pierre, et l’autre à la onzième. L’une et l’autre aboutit à un chemin sablonneux, fâcheux et long pour les voitures ; mais doux et court pour ceux qui vont à Cheval. À droite et à gauche la vue est diversifiée ; car tantôt le chemin 370 se rétrécit par les bois que l’on rencontre, tantôt il s’élargit en passant dans des prés spacieux où se voient plusieurs troupeaux de moutons, plusieurs chevaux et plusieurs bœufs, et qui lorsque l’hiver a quitté les montagnes, s’embellissent par les herbes nouvelles, et par la douce chaleur du Printemps. La maison est commode et n’est pas d’un grand entretien, on rencontre d’abord un vestibule simple et modeste, mais non pas chétif et mesquin, et ensuite une galerie ayant la figure de la lettre O, ces deux pièces renferment une cour petite à la vérité, mais agréable, ce sont des réduits fort commodes contre le mauvais temps, car ils sont défendus par des vitrages [ a ] et encore mieux par des bâtiments qui en sont fort proches. Entre ces bâtiments, il y a une cour fort gaie, et tout auprès une assez belle salle à manger, qui s’étend le long du rivage, et qui lorsque le vent d’Afrique agite un peu la mer, en est baignée par les dernières de ses vagues, rompues et affaiblies. Elle a de tous côtés de grandes portes ou des fenêtres aussi grandes que les portes, ainsi et à droite et à gauche et par le devant elle regarde com371 me trois différentes mers, et par l’autre elle voit la cour, la galerie, la place, une autre galerie, le vestibule, des forêts et des montagnes éloignées ; à la gauche de cette salle il y a une grande chambre à coucher un peu plus retirée, ensuite une moins grande qui reçoit le Soleil levant par une de ses fenêtres, et le Soleil couchant par l’autre, cette chambre voit aussi la mer sous ses fenêtres d’un peu plus loin véritablement, mais avec plus de tranquillité. Entre cette chambre et la salle à manger, est un réduit qui reçoit le soleil à plein, et qui en redouble la chaleur, c’est un lieu bon pour l’hiver, et qui sert aussi à mes gens pour y faire leurs exercices ; on n’y entend aucun vent, hors ceux qui rendent le temps couvert, et qui chassent la sérénité du Ciel avant que de rendre le lieu inutile en le refroidissant. À ce réduit est joint une chambre voûtée dont les fenêtres voient tout le cours du soleil, le long des murs de cette chambre sont des Armoires qui forment une espèce de bibliothèque, où il y a des livres, non pas tant pour être lus de suite, que pour être parcourus à diverses reprises. Tout auprès est un lieu pour dormir, avec un passage entre deux, qui étant suspendu et garni de planches, tempère la chaleur qu’il a reçue d’une manière qui la rend plus saine, et 372 la distribue de tous côtés. Le reste de cette aile de bâtiment sert à loger les valets, et les affranchis, en sorte pourtant qu’il s’y trouve quelques pièces assez propres pour y loger des Étrangers. Dans l’autre aile il y a une chambre très propre et très polie, ensuite une grande chambre, ou une salle à manger qui est fort éclairée et du soleil et de la mer. Ensuite est une chambre avec son antichambre bonne pour l’été à cause de son exhaussement, et bonne pour l’hiver à cause des vitrages dont elle est fermée ; car elle est à l’abri de tous les vents. À cette chambre se joint une autre chambre avec son antichambre, par le mur qui leur est commun. Ensuite est le lieu des bains d’eau fraîche, grand et spacieux. Des murs des deux côtés sortent deux cuves en demi-rond assez grandes pour nager s’il en prenait envie, tout auprès est le lieu des parfums et des cassolettes et le fourneau du bain. Ensuite sont deux cabinets plus propres que magnifiques, qui touchent à un grand bain d’eau chaude, d’une beauté admirable, d’où ceux qui y nagent voient la mer. Non loin de là est un jeu de paume exposé à la grande chaleur du Soleil couchant. Là s’élève une Tour dans laquelle il y a deux salles en bas, et autant au-dessus, et outre cela un lieu à manger, qui voit la 373 pleine mer, des rivages fort étendus, et des maisons de campagne fort agréables. Il y a encore une autre Tour en laquelle est une chambre où l’on voit lever et coucher le Soleil. Ensuite est un grand sellier et un grenier. Au-dessous est un lieu pour manger, où l’on n’entend que le bruit de la mer, quand elle est agitée encore ne l’entend-on que quand il est affaibli et sur ses fins. On voit de là le Jardin et le promenoir dont il est entouré ; ce promenoir est ceint de buis, et où le buis finit, il l’est de romarin, car le buis, dans les endroits où il est défendu par les bâtiments, devient et se conserve admirablement vert sous un Ciel découvert et en plein vent, mais il se sèche où il est exposé à la bruine qu’envoient les vagues de la mer quoiqu’assez éloignée. Joignant ce promenoir, et en dedans est une vigne fort tendre et fort touffue qui semblerait molle et obéissante aux pieds quand même ils seraient nus. Une grande quantité de mûriers et de figuiers remplissent le jardin, cette terre est très fertile en ces sortes d’arbres, mais peu favorable pour tous les autres. La salle à manger jouit de cette vue, qui n’est pas moins agréable que celle de la mer dont elle est éloignée ; elle est entourée par derrière de deux cabinets qui ont sous leurs fenêtres le vestibule de la maison et un autre 374 jardin rustique et abondant en fruits. De là s’étend une grande grotte en forme de galerie, qui tient de la magnificence des ouvrages publics, elle a des fenêtres des deux côtés, il y en a davantage du côté de la mer que du côté du jardin et celles d’en haut sont en moins grand nombre, on les ouvre toutes quand il fait beau temps, et quand il fait vent on ouvre seulement celles du côté où l’air est tranquille. Au devant de la grotte est le lieu des exercices tout parfumé de violettes qui reçoit de la chaleur des murs de cette grotte par la réverbération du Soleil, au-delà est une cour qui reçoit le Soleil du midi et où le vent du nord n’entre point et qui a autant de froid au dehors qu’elle a de chaleur au dedans, elle arrête aussi le vent d’Afrique, ainsi elle rompt d’un côté et d’autre des vents biens différents. Voilà son agrément pendant l’hiver, lequel est encore plus grand pendant l’été, car avant midi elle tempère par son ombre le lieu des exercices, et après midi les promenoirs et la partie du jardin qui en est la plus proche ; et cette ombre tantôt plus et tantôt moins grande, tombe en divers endroits selon que le jour croît ou diminue. Pour la grotte lorsque le Soleil est le plus ardent et qu’il 375 donne à plomb sur son comble, c’est alors que sa lumière y entre le moins, et que les fenêtres étant ouvertes elle reçoit et laisse passer les zéphyrs qui empêchent que l’air n’y croupisse et ne la rende incommode et malsaine. Au devant du lieu des exercices et de la grotte est le cabinet du grand jardin : ce cabinet est mes amours et véritablement mes amours. Je l’ai bâti moi-même. Il y a dans ce cabinet une cheminée solaire [ b ] , d’un côté il regarde le lieu des exercices, de l’autre la mer et de tous côtés le Soleil ; par ses portes il voit la chambre, et par sa fenêtre il voit la grotte. Par l’endroit où il voit la mer, le mur qui le sépare de la grotte, est orné d’une architecture très élégante, ce cabinet a des vitrages et des rideaux, avec lesquels, en les ouvrant ou en les fermant on y ajoute ou on en sépare la chambre qui y est jointe ; il y a un lit et deux chaises dans ce cabinet, vers les pieds est la mer, au derrière sont des maisons de campagne et au devant des forêts, ces vues différentes ont chacune leurs fenêtres qui les distinguent et qui les confondent. La chambre destinée au repos et au sommeil, est jointe 376 à ce cabinet, on n’y entend ni le bruit des valets, ni le bruit de la mer, ni celui des vents : Les éclairs n’y entrent point, ni la lumière même à moins qu’on n’ouvre les fenêtres : ce qui rend ce réduit si tranquille est que son mur est séparé du mur du jardin par un passage, et qu’ainsi le bruit se perd et se consume dans l’espace vide qui est entredeux. Un petit fourneau est attaché à cette chambre, d’où par une petite fenêtre on prend de la chaleur selon le besoin que l’on en a. Ensuite on trouve une antichambre et une chambre qui recevaient le Soleil levant, le Soleil du midi, et une partie du Soleil couchant ; ainsi quand je me retire dans ce cabinet, il me semble n’être plus même dans mon logis : J’y prends particulièrement un grand plaisir au temps des Saturnales, lorsque le reste de la maison retentit de la débauche et des cris de joie qui se font pendant ces jours de Fête ; car alors je ne trouble point les divertissements de mes Domestiques ni eux ne troublent point mes Études : Voilà quelle en est l’utilité et quel en est l’agrément. Il y manque de l’eau de source, mais il y a des puits ou plutôt des fontaines, car l’eau est fort peu avant dans terre. La nature de ce rivage est admirable, en quelque endroit que l’on y creuse on y trouve aussitôt de l’eau et de 377 l’eau très pure, qui ne se ressent en nulle sorte de la salure de la mer, quoique très proche. Les forêts voisines fournissent du bois abondamment, la colline d’Ostie fournit les autres commodités ; le village seul pourrait suffire à un homme frugal, n’étant séparé de ma maison que par une métairie. Il y a dans ce village des bains publics : C’est une grande commodité, lorsque ne faisant que d’arriver chez soi, et que n’ayant pas dessein d’y demeurer longtemps, on ne veut pas se donner la peine de chauffer les bains de la maison. Le rivage est orné d’une grande quantité de maisons de campagne, qui de loin forment à la vue l’image de plusieurs Villes, soit que vous voguiez sur la mer, soit que vous vous promeniez sur le rivage qu’un profond calme embellit quelquefois, mais qu’un vent contraire rend le plus souvent désagréable. La mer n’y est pas assurément abondante en poissons exquis, elle a néanmoins des soles et des squilles très excellentes. Notre Métairie nous donne aussi une partie des commodités que la Terre fournit, et particulièrement du lait ; car c’est là que s’assemblent les troupeaux au retour des pâturages lorsqu’ils cherchent ou de l’eau ou de l’ombre. Trouvez-vous que j’aie de bonnes raisons pour aimer, pour cultiver et pour ha378 biter une telle retraite que vous ne pouvez pas ne point désirer à moins que vous n’aimiez la Ville avec trop de passion. Je souhaite fort qu’il vous prenne envie d’y venir, afin que ma maison joigne encore à tant et de si grands avantages qu’elle a déjà celui de vous avoir pour son Hôte,

Adieu.

a. C’était une espèce de talc fendu en lames fort minces, et assemblées dans des châssis, comme le sont nos vitrages.

b. Heliocaminus, C’était un endroit en rond et vouté, qui recevant et ramassant les rayons du Soleil, rendait beaucoup de chaleur et tenait lieu d’une cheminée.

a. C’était une espèce de talc fendu en lames fort minces, et assemblées dans des châssis, comme le sont nos vitrages.

b. Heliocaminus, C’était un endroit en rond et vouté, qui recevant et ramassant les rayons du Soleil, rendait beaucoup de chaleur et tenait lieu d’une cheminée.