27 Épître au roi, à l’occasion du poème précédent, et sur l’excès de joie que Paris témoigna de la convalescence de Sa Majesté


  Oui, ton siècle, Grand Roi, ton siècle plein de gloire
Sur les siècles passés remporte la victoire,
Et du fameux combat qui l’élève sur eux,
Il ne doit qu’à Toi seul tout le succès heureux ;
Il vient donc à tes pieds remettre la Couronne,
Que de ses fiers Rivaux la défaite lui donne,
Et révérer en Toi cette auguste grandeur,
Qui fait toute sa force et toute sa splendeur.

   28 Lorsque des plus savants ardemment souhaitée
La palme des beaux Arts fut entre eux disputée :
Qu’en l’art de discourir nos modernes Auteurs
Osèrent s’attaquer aux plus vieux Orateurs,
Qu’aux Homères divins, qu’aux Virgiles superbes
On vit se mesurer nos Racans, nos Malherbes ;
Qu’aux Chantres de la Grèce en diverses façons,
Nos célèbres Lullys disputèrent des sons ;
Que nos savants Le Bruns firent tête aux Apelles ,
Nos fameux Girardons aux fameux Praxitèles  ;
D’une aile irrésolue on vit voler longtemps,
La victoire douteuse entre les combattants ;
Mais quand pour réparer la honte qu’ils en eurent,
Des siècles éloignés les Monarques parurent,
Fiers d’avoir en leurs jours par leurs exploits divers,
Rempli d’étonnement les yeux de l’Univers,
À l’éclat sans pareil de ta solide gloire,
Qui doit les vaincre encor dans le champ de l’Histoire,
On les vit se troubler et tomber abattus,
Sous le nombre et sous le poids de tes hautes vertus ;

  D’abord par sa valeur l’invincible Alexandre
Au prix qui t’attendait sembla pouvoir prétendre
29 Mais de son vaste orgueil le projet odieux,
Ce désir insensé d’être au nombre des Dieux ,
Ses noirs emportements, son cœur de sang avide,
Et de son vin brutal la fureur homicide
Ternirent pour jamais l’éclat de sa valeur ;
Et son siècle confus en gémit de douleur.

  Du second des Césars, la sagesse profonde
Qui sous de justes lois sut régir tout le monde,
Tel le rendait égal en pompe, en majesté,
Quand des Proscriptions l’indigne cruauté,
Obscurcissant les noms et de juste et de sage,
Le força de céder et de te rendre hommage.

  De ces nobles combats les témoins attentifs
Ne purent se résoudre à demeurer oisifs ;
L’Amour des Anciens, cette aveugle manie
Qui des Actes guerriers, des Arts et du Génie,
Ne mesure le prix qu’au seul nombre des ans,
Pour les siècles passés fit mille partisans ;
Mais ce brûlant Amour de ta gloire immortelle,
Qui règne dans le cœur de ton Peuple fidèle ;
Peuple si renommé par l’amour de ses Rois
De la prévention fut l’heureux contrepoids.
30 Si cette noble ardeur pour Toi sans retenue
Avait pu jusqu’ici ne t’être pas connue,
Assez tu l’as pu voir dans nos vœux empressés
À l’effroyable aspect de tes jours menacés,
Et lorsqu’à la douleur cessas d’être en proie,
Assez t’en a parlé l’excès de notre joie
Qui par des saints transports s’élevant jusqu’aux Cieux
Eut encor le bonheur d’éclater à tes yeux.

  Quand sous les feux tonnants de ta foudre irritée,
Par de rudes assauts une ville emportée,
T’ouvrait son triste sein, qu’abattus à tes pieds
Ses plus fiers habitants rampaient humiliés,
Que ses murs démolis et fumants de carnage,
Publiaient du Vainqueur la force et le courage,
De ces objets affreux s’élevait un encens,
Qui pour ton cœur guerrier eut mille attraits puissants ;
Mais confesse, grand Roi, qu’en ce jour plein de charmes,
pour bénir le Ciel d’avoir tari nos larmes,
Tu vins, ne consultant que ta seule bonté,
Dans les murs bienheureux de ta vaste cité,
Où tu vis à quel point, de son Peuple fidèle,
S’allumaient sous tes yeux l’allégresse et le zèle
31 Où ce Peuple charmé cherchait de toutes parts
Le précieux trésor d’un seul de tes regards,
Et tâchant d’exprimer le fond de sa pensée
Par ses cris éclatants, et sa foule empressée,
Te disait, enivré de l’amour qui t’est dû,
Qu’il tiendrait tout son sang dignement répandu
S’il pouvait ajouter, en dépit de l’Envie,
Un rayon à ta gloire, un moment à ta vie ;
Oui, confesse, Grand Roi, que peu d’autres plaisirs,
D’une douceur pareille ont rempli tes désirs ;

  Ainsi puisque du Ciel la bonté singulière
Rouvre à tes jours heureux une longue carrière
D’un soin toujours tranquille et toujours agissant ;
Rends, s’il se peut ton siècle encor plus florissant,
Qu’à l’aspect des beautés qu’aura seul ton Empire,
Ainsi que le Passé, l’Avenir en soupire,
Par l’honneur précieux de tes féconds regards
Pousse encore plus loin l’excellence des Arts,
Force plus que jamais l’agréable Abondance,
À verser ses trésors dans le sein de la France ;
Et par l’épanchement de ses biens les plus doux,
Redouble le chagrin de nos voisins jaloux :
32 Sûr que si dans l’enclos des siècles et du Monde
À tes hautes vertus il n’est rien qui réponde,
C’est de ton Peuple seul l’inébranlable foi,
Et l’amour infini dont il brûle pour toi.

Fin de l’Épître