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Épître au roi, à l’occasion du poème précédent, et sur l’excès de joie que Paris témoigna de la convalescence de Sa Majesté
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L’Épître au roi a été transcrit à partir de l’exemplaire conservé à la bibliothèque municipale de Besançon, sous la cote 265190 . Le poème a été lu par Lavau à l’Académie française lors de la séance du 25 août 1687. L’Académie française avait célébré la guérison du roi lors de la séance du 27 janvier 1687 au cours de laquelle Lavau lut
Le Siècle de Louis le Grand
qui ne fait aucune référence à la maladie du roi. Le poème lu en août en fait son sujet principal tout en s’inscrivant dans l’éloge du siècle de Louis XIV. On lit ainsi dans le Recueil de plusieurs pièces d’éloquence et de poésie présentées à l’Académie française pour les prix de l’année 1687 (Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1687, p.196) : « Monsieur Perrault dit que la dernière fois que l’Académie française s’était assemblée, qui fut pour rendre grâces à Dieu de la parfaite convalescence de son auguste protecteur, il y fut lu un petit Poème intitulé
Le siècle de Louis le Grand
; que de toutes les raisons qu’on y emploie pour prouver que notre siècle est plus éclairé et plus poli que tous les autres siècles, nulle ne toucha celle qui se tire de la grandeur du Roi et d’une certaine fatalité attachée aux arts et aux sciences, d’avoir toujours paru au monde avec éclat sous le règne des grands Monarques, et même en quelque sorte à proportion de leur grandeur ; il ajoute que cette réflexion avait donné lieu à l’Épître qui suit, où notre siècle reconnaît qu’il tient du Roi ses plus grands avantages et qu’il ne doit qu’à la splendeur de son règne, de ses vertus et de ses actions, la victoire qu’il remporte sur tous les autres siècles. ». Dans ce recueil, le poème s’intitule simplement : Au Roi. Epistre (p. 197-201) . [CBP]
Oui, ton siècle, Grand Roi, ton siècle plein de gloire
Sur les siècles passés remporte la victoire,
Et du fameux combat qui l’élève sur eux,
Il ne doit qu’à Toi seul tout le succès heureux ;
Il vient donc à tes pieds remettre la Couronne,
Que de ses fiers Rivaux la défaite lui donne,
Et révérer en Toi cette auguste grandeur,
Qui fait toute sa force et toute sa splendeur.
28 Lorsque des plus savants ardemment souhaitée
La palme des beaux Arts fut entre eux disputée :
Qu’en l’art de discourir 2 Il s’agit bien sûr de la rhétorique : comme le répètent à l’envi les rhétoriques néo-latines, de Melanchthon (XVIe siècle) à Colonia (début XVIIIe siècle), « Rhetorica est ars bene dicendi » ; litt., « la rhétorique est l’art de bien dire », mais dans la langue du XVIIe siècle, dicendi est rendu par « discourir », d’autant que l’objet propre de la rhétorique est le discours (oratio) et non la parole. [CNo] nos modernes Auteurs
Osèrent s’attaquer aux plus vieux Orateurs,
Qu’aux Homères divins 3 Qualificatif ordinaire pour le poète dès Platon qui l’a utilisé notamment dans le Ménon 81a-d, trad. M. Canto-Sperber, Paris, GF, 1991, p. 152-153. Sur Homère « mythiquement assimilé à un Dieu », voir Chr. Noille-Clauzade, L’Éloquence du sage, Paris, Honoré Champion, 2004. [DR] , qu’aux Virgiles superbes 4 Voir ci-dessus, note 53. [DR]
On vit se mesurer nos Racans, nos Malherbes ;
Qu’aux Chantres de la Grèce en diverses façons,
Nos célèbres Lullys disputèrent des sons 5 La mention de Lully est très politique : il a implanté l’opéra en France, genre reconnu par Perrault comme représentant la modernité aux côtés des contes (voir le tome III sur la poésie et le passage sur les nouveaux genres poétiques, p. 279 à 309 ; et surtout Lully est devenu l’artiste favori de Louis XIV qui lui a accordé, en 1672, le privilège de l’Académie de musique avec l’exclusivité en matière de création lyrique. À partir de 1675, les opéras de Lully sont créés à la cour même et les dépenses que Louis XIV leur consacre sont considérables. Le pouvoir de fascination détenu par le genre représente en effet un formidable outil de propagande : en concentrant en une représentation unique la poésie, la musique, le théâtre, il unifie en un seul langage l’idéologie royale. [DR] ;
Que nos savants Le Bruns firent tête aux Apelles 6 Parallèle ordinaire entre Charles Le Brun, premier peintre du roi et Apelle, le peintre d’Alexandre le Grand, qui s’est cristallisé à l’occasion de l’exécution par Le Brun des Reines de Perse aux pieds d’Alexandre (Versailles). [MCLB] ,
Nos fameux Girardons aux fameux Praxitèles 7 L’association entre Girardon et Praxitèle ne bénéficie pas de relais textuels au même titre que la précédente. Mais les noms des deux sculpteurs ont été réunis à l’occasion de la restauration par Girardon de la statue d' Aphrodite , dite la Vénus d’Arles (marbre, I siècle av. J.-C, inv. Ma 439, musée du Louvre), de style praxitélien. La statue, découverte brisée en 1651 dans les vestiges du théâtre d’Arles partit pour Versailles en 1683. François Girardon procéda à plusieurs ajouts et restitutions (bras, attributs de Vénus) avant que le marbre ne soit placé en avril 1685 dans la Grande Galerie de Versailles. Des vers sur la Vénus d’Arles restaurée témoignent du parallèle entre Girardon et Praxitèle : Claude-Charles Guyonnet de Vertron, Le nouveau Panthéon ou le rapport des divinitez du paganisme des héros de l’Antiquité et des princes surnommés grands aux vertus et aux actions de Louis le Grand avec des inscriptions latines et françoises, en vers et en prose, pour l’histoire du roy, pour les revers de ses médailles, pour les monuments publics érigez à sa gloire et pour les principales statues du palais de Versailles, par Monsieur de Vertron de l’Académie royale, Historiographe de sa Majesté, Paris, 1686, p. 58. [MCLB] ;
D’une aile irrésolue on vit voler longtemps,
La victoire douteuse entre les combattants ;
Mais quand pour réparer la honte qu’ils en eurent,
Des siècles éloignés les Monarques 8 Le Monarque est « celui qui a seul l’autorité souveraine et le pouvoir absolu dans un grand État » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). Perrault va convoquer, dans une sorte de fiction allégorique, Alexandre le Grand et l’empereur Auguste, contraints de s’incliner devant la gloire de Louis XIV. [CBP] parurent,
Fiers d’avoir en leurs jours par leurs exploits divers,
Rempli d’étonnement les yeux de l’Univers,
À l’éclat sans pareil de ta solide gloire,
Qui doit les vaincre encor dans le champ de l’Histoire,
On les vit se troubler et tomber abattus,
Sous le nombre et sous le poids de tes hautes vertus ;
D’abord par sa valeur l’invincible Alexandre 9 L’histoire et la légende d’Alexandre le Grand sont diffusées par le Roman d’Alexandre, dont les premières versions en langue vernaculaire datent du XIIIe siècle. En 1653, Vaugelas a proposé une traduction de la vie d’Alexandre de Quinte-Curce (De la vie et des actions d’Alexandre le Grand, de la traduction de Monsieur de Vaugelas, avec les supplémens de Jean Freinshemius sur Quinte-Curce traduits par Pierre Du Ryer, Paris, Augustin Courbé, 1653). Au début de son règne, Louis XIV voue une grande admiration à Alexandre, issue de sa lecture de Quinte-Curce. Racine donne la tragédie Alexandre le Grand en 1665 et Le Brun conçoit une série de tableaux autour de la figure d’Alexandre. Voir Marianne Cojanot-Le Blanc, « “Il avoit fort dans le cœur son Alexandre... ” L’imaginaire du jeune Louis XIV d’après La Mesnardière et la peinture des Reines de Perse par Le Brun », XVIIe siècle, 2011/2, p. 371-395. Le roi se détache ensuite de cette figure de roi conquérant et furieux. Voir sur ce point, Chantal Grell et Christian Michel, L’École des Princes ou Alexandre disgracié. Essai sur la mythologie monarchique de la France absolutiste, Paris, Les Belles-Lettres,1988. [CBP]
Au prix qui t’attendait sembla pouvoir prétendre
29 Mais de son vaste orgueil le projet odieux,
Ce désir insensé d’être au nombre des Dieux 10 Alexandre le Grand se considère comme le fils du dieu Amon en Égypte. Par ailleurs, Alexandre prétend descendre par son père d’Héraclès, fils de Zeus. [CBP] ,
Ses noirs emportements, son cœur de sang avide 11 Alexandre, admirateur d’Achille, est souvent dépeint avec les traits du héros épique : cruel, emporté, démesuré. [CBP] ,
Et de son vin brutal la fureur homicide 12 Lors d’un banquet, Alexandre, ivre, tue son ami Cléitos qui louait les exploits du père d’Alexandre, Philippe II. [CBP]
Ternirent pour jamais l’éclat de sa valeur ;
Et son siècle confus en gémit de douleur.
Du second des Césars 13 Il s’agit de l’empereur Auguste que Corneille présentait comme un Monarque « tout généreux » dans la dédicace à Monsieur de Montoron de Cinna ou la clémence d’Auguste, représentée en 1641. [CBP] , la sagesse profonde
Qui sous de justes lois sut régir tout le monde,
Tel le rendait égal en pompe, en majesté,
Quand des Proscriptions l’indigne cruauté 14 Les proscriptions sont organisées au moment du second triumvirat (Octave, Marc-Antoine, Lépide). Elles concernent des sénateurs et chevaliers ennemis des triumvirs. La confiscation de leurs biens est ordonnée et ceux qui ne parviennent pas à s’enfuir sont condamnés à mort. [CBP] ,
Obscurcissant les noms et de juste et de sage,
Le força de céder et de te rendre hommage.
De ces nobles combats les témoins attentifs
Ne purent se résoudre à demeurer oisifs ;
L’Amour des Anciens, cette aveugle manie
Qui des Actes guerriers, des Arts et du Génie,
Ne mesure le prix qu’au seul nombre des ans,
Pour les siècles passés fit mille partisans ;
Mais ce brûlant Amour de ta gloire immortelle,
Qui règne dans le cœur de ton Peuple fidèle ;
Peuple si renommé par l’amour de ses Rois
De la prévention fut l’heureux contrepoids.
30 Si cette noble ardeur pour Toi sans retenue
Avait pu jusqu’ici ne t’être pas connue,
Assez tu l’as pu voir dans nos vœux empressés
À l’effroyable aspect de tes jours menacés,
Et lorsqu’à la douleur cessas d’être en proie,
Assez t’en a parlé l’excès de notre joie
Qui par des saints transports s’élevant jusqu’aux Cieux
Eut encor le bonheur d’éclater à tes yeux 15 Annotation en cours. .
Quand sous les feux tonnants de ta foudre irritée,
Par de rudes assauts une ville emportée 16 Annotation en cours. ,
T’ouvrait son triste sein, qu’abattus à tes pieds
Ses plus fiers habitants rampaient humiliés,
Que ses murs démolis et fumants de carnage,
Publiaient du Vainqueur la force et le courage,
De ces objets affreux s’élevait un encens,
Qui pour ton cœur guerrier eut mille attraits puissants ;
Mais confesse, grand Roi, qu’en ce jour plein de charmes 17 Il faut prendre ce mot dans son sens le plus fort tel qu’il est attesté par la première édition du Dictionnaire de l’Académie française : « Ce qui se fait par art magique pour produire un effet extraordinaire ». [DR] ,
Où pour bénir le Ciel d’avoir tari nos larmes,
Tu vins, ne consultant que ta seule bonté,
Dans les murs bienheureux de ta vaste cité,
Où tu vis à quel point, de son Peuple fidèle,
S’allumaient sous tes yeux l’allégresse et le zèle
31 Où ce Peuple charmé cherchait de toutes parts
Le précieux trésor d’un seul de tes regards,
Et tâchant d’exprimer le fond de sa pensée
Par ses cris éclatants, et sa foule empressée,
Te disait, enivré de l’amour qui t’est dû,
Qu’il tiendrait tout son sang dignement répandu
S’il pouvait ajouter, en dépit de l’Envie,
Un rayon à ta gloire, un moment à ta vie ;
Oui, confesse, Grand Roi, que peu d’autres plaisirs,
D’une douceur pareille ont rempli tes désirs ;
Ainsi puisque du Ciel la bonté singulière
Rouvre à tes jours heureux une longue carrière
D’un soin toujours tranquille et toujours agissant ;
Rends, s’il se peut ton siècle encor plus florissant,
Qu’à l’aspect des beautés qu’aura seul ton Empire,
Ainsi que le Passé, l’Avenir en soupire,
Par l’honneur précieux de tes féconds regards
Pousse encore plus loin l’excellence des Arts,
Force plus que jamais l’agréable Abondance,
À verser ses trésors dans le sein de la France ;
Et par l’épanchement de ses biens les plus doux,
Redouble le chagrin de nos voisins jaloux :
32 Sûr que si dans l’enclos des siècles et du Monde
À tes hautes vertus il n’est rien qui réponde,
C’est de ton Peuple seul l’inébranlable foi,
Et l’amour infini dont il brûle pour toi.