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ORAISON FUNÈBRE de la Reine d’Angleterre,
par Monsieur Bossuet, Évêque de Meaux, alors nommé à l’Évêché de Condom
1
Cette oraison a été prononcée le 16 novembre 1669 en l’église du couvent des Visitandines de Sainte-Marie de Chaillot lors des funérailles de Henriette-Marie de France, reine d’Angleterre. Elle appartient à la dernière série des oraisons funèbres prononcées par Bossuet et consacrées à de grands personnages. Il les réunit en un recueil en 1689. Le présent texte fut publié, avec des variantes, quatre fois auparavant entre 1669 et 1671. Bossuet a été nommé évêque de Condom le 10 septembre 1669. L’année suivante il devient précepteur du dauphin, fils de Louis XIV. [DR]
Et nunc Reges intelligite ; erudimini qui judicatis Terram.
Psaumes
, II
2
Verset 10. [DR]
.
Maintenant ô Rois, apprenez ; instruisez-vous, Juges de la Terre.
MONSEIGNEUR
3
Bossuet s’adresse à Philippe d’Orléans, gendre de la défunte. [DR]
,
Celui qui règne dans les Cieux, et de qui relèvent tous les Empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté, et l’indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux Rois, et de leur donner, quand il lui plaît, de grandes et de terribles leçons. Soit qu’il élève les Trônes, soit qu’il les abaisse ; soit qu’il communique sa puissance aux Princes
4
Furetière : « Monarque, souverain indépendant. » [DR]
, soit qu’il la retire
5
Furetière : « se dit figurément en choses spirituelles et morales. Quand Dieu retire ses grâces, il abandonne le pécheur à son sens réprouvé. » [DR]
à lui-même, et ne leur laisse que leur propre faiblesse : il leur apprend leurs devoirs d’une manière souveraine et digne de lui. Car en leur donnant sa puissance, il leur commande d’en user comme il fait 314
lui-même pour le bien du monde ; et il leur fait voir, en la retirant
6
Voir note précédente. [DR]
, que toute leur Majesté est empruntée, et que pour être assis sur le Trône, ils n’en sont pas moins sous sa main et sous son autorité suprême. C’est ainsi qu’il instruit les Princes, non seulement par des discours et par des paroles ; mais encore par des effets et par des exemples.
Et nunc Reges intelligite ; erudimini qui judicatis Terram
7
Voir note 2. [DR]
.
Chrétiens, que la mémoire d’une grande Reine, Fille, Femme, Mère de Rois si puissants, et Souveraine de trois Royaumes 8 La souveraine régnait sur l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande. [DR] , appelle de tous côtés à cette triste cérémonie ; ce discours vous fera paraître un de ces exemples redoutables, qui étalent aux yeux du monde sa vanité tout entière 9 Le thème de la vanité fait l’objet d’une amplification fameuse dans l’Oraison funèbre de Henriette-Anne d’Angleterre que Bossuet prononcera le 21 août 1670. [DR] . Vous verrez dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines : la félicité sans bornes, aussi bien que les misères ; une longue et paisible jouissance d’une des plus nobles Couronnes de l’univers ; tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naissance et la grandeur, accumulé sur une tête, qui ensuite est exposée à tous les outrages de la fortune ; la bonne cause, d’abord suivie de bons succès, et depuis des retours soudains ; des changements inouïs ; la rébellion longtemps retenue, à la fin tout à fait maîtresse ; nul 315 frein à la licence ; les Lois abolies : la Majesté violée par des attentats jusqu’alors inconnus ; l’usurpation et la tyrannie sous le nom de liberté ; une Reine fugitive, qui ne trouve aucune retraite dans trois Royaumes, et à qui sa propre Patrie n’est plus qu’un triste lieu d’exil ; neuf voyages sur mer entrepris par une Princesse malgré les tempêtes ; l’Océan étonné de se voir traversé tant de fois en des appareils si divers, et pour des causes si différentes ; un Trône indignement renversé, et miraculeusement rétabli 10 L’orateur se saisit ici de la matière historique fournie par la vie politique tumultueuse de la figure célébrée, fille d’Henri IV, sœur de Louis XIII et épouse du roi d’Angleterre Charles Ier Stuart. Elle dut notamment se réfugier en France en 1649 en pleine guerre civile outre-Manche. Son courage et sa détermination durant les tempêtes et les batailles sont fameux. [DR] . Voilà les enseignements que Dieu donne aux Rois 11 Depuis David, auquel est attribué le psaume II cité en exergue, jusqu’aux souverains contemporains d’après la théologie de l’histoire que Bossuet développera dans le Discours sur l’Histoire universelle de 1681. : Ainsi fait-il voir au monde le néant de ses pompes et de ses grandeurs. Si les paroles nous manquent, si les expressions ne répondent pas à un sujet si vaste et si relevé ; les choses parlent assez d’elles-mêmes. Le cœur d’une grande Reine, autre fois élevé par une si longue suite de prospérités, et puis plongé tout à coup dans un abîme d’amertumes, parlera assez haut : Et s’il n’est pas permis aux particuliers de faire des leçons aux Princes sur des événements si étranges, un Roi me prête ses paroles pour leur dire : Et nunc Reges intelligite ; erudimini qui judicatis Terram 12 Voir note 2. [DR] . Entendez, ô Grands de la Terre, instruisez-vous, Arbitres 13 Furetière : « Action de la volonté par laquelle elle choisit librement ce qu’elle juge de meilleur. » ; « se dit figurément de celui qui est maitre absolu, qui est fort puissant. » [DR] du monde.
316 Mais la sage et religieuse Princesse, qui fait le sujet de ce discours, n’a pas été seulement un spectacle proposé aux hommes pour y étudier les conseils de la divine Providence 14 Furetière : « Terme de théologie. Il ne se dit que de Dieu, et de sa conduite sur toutes les choses créées. C’est la puissance que Dieu déploie dans la conservation du monde, et dans l’administration de toutes choses. » Dans la perspective du Discours sur l’Histoire universelle de Bossuet, c’est notamment sous la forme de la justice que la Providence règle le monde en distribuant sanctions ou rétributions. [DR] , et les fatales révolutions des Monarchies ; elle s’est instruite elle-même pendant que Dieu instruisait les Princes par son exemple fameux. J’ai déjà dit que ce grand Dieu les enseigne, et en leur donnant, et en leur ôtant leur puissance. La Reine dont nous parlons a également entendu deux leçons si opposées ; c’est-à-dire qu’elle a usé chrétiennement de la bonne et de la mauvaise fortune. Dans l’une, elle a été bienfaisante ; dans l’autre, elle s’est montrée toujours invincible. Tant qu’elle a été heureuse, elle a fait sentir son pouvoir au monde, par des bontés infinies, quand la fortune l’eut abandonnée elle s’enrichit plus que jamais elle-même de vertus : Tellement qu’elle a perdu pour son propre bien cette puissance Royale qu’elle avait pour le bien des autres ; et si ses Sujets, si ses Alliés, si l’Église universelle a profité de ses grandeurs, elle-même a su profiter de ses malheurs et de ses disgrâces plus qu’elle n’avait fait de toute sa gloire. C’est ce que nous remarquerons dans la vie éternellement mémorable de très haute, très excellente, et très puis317 sante Princesse HENRIETTE MARIE DE FRANCE, REINE DE LA GRANDE BRETAGNE.
Quoique personne n’ignore les grandes qualités d’une Reine, dont l’Histoire a rempli tout l’univers, je me sens obligé d’abord à les rappeler en votre mémoire, afin que cette idée nous serve pour toute la suite de ce discours. Il serait superflu de vous parler au long de la glorieuse naissance de cette Princesse : On ne voit rien sous le Soleil 15 Ecclésiaste I, 9. [DR] qui en égale la grandeur. Le Pape saint Grégoire a donné dès les premiers siècles 16 Annotation en cours. , cet éloge singulier à la Couronne de France, qu’elle est autant au-dessus des autres Couronnes du monde, que la dignité Royale surpasse les fortunes particulières. Que s’il a parlé en ces termes du temps du Roi Childebert, et s’il a élevé si haut la race de Mérovée 17 Annotation en cours. ; jugez ce qu’il aurait dit du sang de saint Louis et de Charlemagne. Issue de cette Race ; Fille de Henri le Grand, et de tant de Rois 18 Annotation en cours. , son grand cœur a surpassé sa naissance. Toute autre place qu’un Trône eût été indigne d’elle. À la vérité elle eut de quoi satisfaire à sa noble fierté, quand elle vit qu’elle allait unir la Maison 19 Furetière : « se dit aussi d’une race noble, d’une suite de gens illustres venus de la même souche, qui se sont signalés par leur valeur, ou par leurs emplois, ou par les grandes dignités qu’ils ont eues par leur naissance. » [DR] de France à la Royale Famille des Stuarts 20 Annotation en cours. , qui étaient venus à la succession de la Couronne d’An318 gleterre par une fille de Henri VII ? mais qui tenaient de leur Chef, depuis plusieurs siècles, le Sceptre d’Écosse, et qui descendaient de ces Rois antiques dont l’origine se cache si avant 21 Furetière : « en delà, plus loin » ; « se dit figurément en choses spirituelles et morales. Cet Historien a fouillé plus avant que tous les autres dans les Mémoires de l’Antiquité ». [DR] dans l’obscurité des premiers temps 22 Annotation en cours. . Mais si elle eut de la joie de régner sur une grande Nation, c’est qu’elle pouvait contenter le désir immense, qui sans cesse la sollicitait à faire du bien. Elle eut une magnificence 23 Annotation en cours. Royale, et on eût dit qu’elle perdait ce qu’elle ne donnait pas. Ses autres vertus n’ont pas été moins admirables. Fidèle dépositaire des plaintes et des secrets, elle disait que les Princes doivent garder le même silence que les Confesseurs, et avoir la même discrétion 24 Annotation en cours. . Dans la plus grande fureur des guerres civiles, jamais on n’a douté de sa parole, ni désespéré de sa clémence 25 Annotation en cours. . Quelle autre a mieux pratiqué cet art obligeant, qui fait qu’on se rabaisse sans se dégrader, et qui accorde si heureusement la liberté avec le respect ? Douce, familière, agréable, autant que ferme et vigoureuse, elle savait persuader et convaincre aussi bien que commander, et faire valoir la raison non moins que l’autorité. Vous verrez avec quelle prudence elle traite les affaires 26 Annotation en cours. ; et une main si habile eût sauvé l’État, si l’État eût pu être sauvé. On ne peut assez 319 louer la magnanimité 27 Annotation en cours. de cette Princesse. La fortune ne pouvait rien sur elle ; ni les maux qu’elle a prévus, ni ceux qui l’ont surprise, n’ont abattu son courage. Que dirai-je de son attachement immuable à la Religion de ses Ancêtres : Elle a bien su reconnaître que cet attachement faisait la gloire de sa Maison 28 Furetière : « se dit aussi d’une race noble, d’une suite de gens illustres venus de la même souche, qui se sont signalés par leur valeur, ou par leurs emplois, ou par les grandes dignités qu’ils ont eues par leur naissance. » [DR] , aussi bien que celle de toute la France, seule Nation de l’Univers, qui depuis douze siècles presque accomplis que ses Rois ont embrassé le Christianisme 29 Annotation en cours. , n’a jamais vu sur le Trône que des Princes enfants de l’Église. Aussi a-t-elle toujours déclaré, que rien ne serait capable de la détacher de la Foi de saint Louis. Le Roi son Mari lui a donné jusqu’à la mort ce bel éloge, qu’il n’y avait que le seul point de la Religion où leurs cœurs fussent désunis ; et confirmant par son témoignage la piété de la Reine, ce Prince très éclairé a fait connaître en même temps à toute la Terre, la tendresse, l’amour conjugal, la sainte et inviolable fidélité de son Épouse incomparable 30 Annotation en cours. .
Dieu qui rapporte tous ses conseils 31 Furetière : « En théologie, signifie les secrets de la Providence divine. Les conseils de Dieu sont impénétrables. » [DR] à la conservation de sa sainte Église, et qui fécond en moyens, emploie toutes choses, etc. 32 Perrault interrompt le texte après l’exorde, au début de la première partie de l’oraison. [DR/CNo] : pourquoi cet extrait dans ces bornes ?